MAMADOU RACINE SY, PRESIDENT DU PATRONAT DU TOURISME ET DE L’HOTELLERIE DU SENEGAL « Le problème migratoire ne peut pas être réglé sans l’apport du secteur privé »
« Laissons le temps au gouvernement de mettre en place les mécanismes qui pourront remodeler et booster le secteur privé »
Un des plus grands hôteliers du pays, Mamadou Racine Sy est le premier vice-président du Conseil national du Patronat et président du Patronat du tourisme et de l’hôtellerie du Sénégal. Accroché après son vote, lors du scrutin du 17 novembre 2024, au centre Elimane Racine Sy de Podor (région de Saint-Louis), le président de la Fédération des organisations patronales du tourisme et de l’hôtellerie de l’espace Uemoa et Cedeao s’est donné à cœur ouvert sur un secteur qu’il maîtrise, avec maestria : le privé. Dans cet entretien à bâtons rompus, il évoque l’apport du secteur privé pour soutenir la politique de croissance économique et de création d’emplois portée par le gouvernement sénégalais, conduit par le Premier ministre Ousmane Sonko, sous l’impulsion du président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye.
Le gouvernement répété maintes fois vouloir faire du secteur privé un levier pour booster la croissance économique du pays. Qu’en pensez-vous ?
« Le secteur privé sénégalais doit jouer un rôle important dans la stratégie de croissance du gouvernement sénégalais. On ne peut pas faire l’impasse sur le secteur privé. C’est lui qui est porteur de croissance et créateur d’emplois. Si vous vous souvenez, au lendemain de l’accession du président Bassirou Diomaye Faye à la présidence de la République, il avait lancé un appel au secteur privé. Il nous avait tendu la main et nous avions, par ma voix, répondu favorablement le jour de sa prestation de serment. Où j’avais dit que le secteur était prêt à travailler, la main dans la main, avec le gouvernement sénégalais dirigé par le Premier ministre Ousmane Sonko. Et nous réitérons notre vœu de participer avec le gouvernement à la réflexion et à la mise en œuvre des mesures qui nous semblent indispensables pour booster l’économie sénégalaise ».
Mais est-ce que vous sentez cet appel du chef de l’Etat se matérialiser ?
« Notre message a été entendu. Pour preuve, la semaine dernière, au Conseil des ministres, le président a mis l’accent sur un secteur aussi stratégique qu’est le tourisme, qui est le deuxième secteur d’activité économique au Sénégal. Le tourisme est en fait une sorte d’exportation sur place. Ce sont nos produits comme la plage, le sable, l’hospitalité… Le tourisme est également un secteur transversal qui impacte sur tous les secteurs d’activités au Sénégal. Quand il marche, le bâtiment, les produits halieutiques et maraîchers…, tout marche. Le secteur est prêt, tout à fait disposer, à travailler avec l’Etat. Nous sommes apolitiques par définition. Donc, ce qui nous importe, c’est que nous soyons dans un cadre réglementaire qui puisse nous permettre de faire épanouir nos activités. De ce que je vois, le gouvernement l’a bien compris. Dans ses visites d’ailleurs, le président de la République part avec les membres du secteur privé. Cela a été le cas en Chine et ailleurs. De plus en plus, l’accent sera mis sur le secteur privé national. Parce que le Sénégal ne sera que ce qu’en feront ses fils. Dernièrement, il y a eu une fusion du Conseil national du patronat et de la Cness (Confédération nationale des entreprises du Sénégal). Tout cela, c’est pour que les entreprises privées sénégalaises puissent parler d’une seule voix et peser sur tout ce qui concerne la croissance économique et le cadre réglementaire au Sénégal ».
« Mettre des incitations sur le plan fiscal pour pousser les gens à embaucher »
Par ailleurs, l’émigration clandestine continue son lot de morts et de désolations. Qu’est-ce que le secteur privé peut-il apporter comme solution contre ce phénomène ?
« Ce problème migratoire où les gens, dans la quête d’un mieux-être, courent des risques souvent mortels pour aller en Europe, ne peut pas être réglé sans l’apport du secteur privé. Il faut au Sénégal qu’on ait une approche et une adéquation formation-emploi. L’employabilité n’est possible qu’à ce prix. Le Sénégal est devenu un Etat pétrolier et gazier. Il faut que dans la formation qu’on puisse inculper à nos jeunes et étudiants une formation en adéquation avec les besoins du secteur privé. Comme ça, nous n’avons pas besoin d’aller chercher ailleurs ce que nous avons chez nous. C’est une première approche pour lutter contre ce phénomène que nous déplorons tous. Il faut également une concertation, de véritables assises entre le gouvernement et le secteur privé pour lutter contre l’émigration clandestine. Ce secteur privé doit étendu au secteur informel pour voir dans quelle mesure, nous pouvons impacter en termes d’emplois à tous les niveaux pour ceux qui ont une formation et ceux qui n’en ont pas. Et le gouvernement puisse mettre des incitations même sur le plan fiscal pour pousser les gens à embaucher. Parce qu’on ne peut embaucher sans contrepartie. Si le gouvernement met en place, en concertation avec nous, des mesures où par rapport au nombre d’emplois créés, des incitations fiscales en face, ça va amoindrir le taux de chômage et booster les emplois au Sénégal ».
Apparemment, l’Etat a compris la nécessité d’avoir une adéquation formation-emploi pour permettre au secteur privé d’employer. Est-ce cela qui explique d’ailleurs la création de nouvelles filières ?
« Même si l’Etat crée une adéquation formation-emploi, c’est le secteur privé qui recrute. Donc même la création de filières doit se faire en concertation avec le secteur privé, qui est appelé demain à l’utiliser. Nous du secteur privé, nous estimons que le gouvernement a conscience qu’il faut soutenir le secteur privé. C’est en tout cas ce que nous ressentons dans les déclarations du président de la République et celles du Premier ministre. Nous sentons qu’il y a un fort désir d’œuvrer avec le secteur privé pour résoudre un certain nombre de problèmes et trouver des solutions, notamment aux problèmes endémiques que nous connaissons et qui conduisent les Sénégalais à prendre des risques mortels. Il y a beaucoup de morts avec ses pirogues. Il faut que cela cesse et ça ne peut pas se faire sans le secteur privé. C’est un message qui a été bien compris. Le premier appel lancé par le président de la République, c’était en direction du secteur privé. Maintenant, il faut aller plus loin. Il faut qu’on puisse corréler un certain nombre d’incitation fiscale à une politique d’emplois agressive au niveau du secteur privé. Et c’est possible. Quand nous payons moins d’impôts et en contrepartie qu’on recrute plus, ça règle un gros problème. De ce point de vue-là, les choses vont dans le bon sens et nous aurons bientôt de grandes concertations avec l’Etat. Le secteur de l’hôtellerie est pourvoyeur d’emplois parce qu’il fixe les gens chez eux. Il a été prévu un Conseil ministériel pour bientôt, qui sera axé sur le tourisme, son développement, les goulots d’étranglement et les moyens de le rendre plus émergent, conforme et dynamique. Le Premier ministre a pris à bras-le-corps ce problème. Et cela permettra déjà de booster ce secteur ».
« Crée dans chaque secteur des champions nationaux »
Il y a vraisemblablement une volonté manifeste du gouvernement sénégalais à redistribuer les cartes ?
« Au niveau de la pêche des mesures ont été prises. Il y a eu une remise en cause de l’accord qui nous liait avec l’Union européenne. Le gouvernement a cœur de protéger les ressources halieutiques au Sénégal. Il n’est pas normal que les pêcheurs nationaux ne puissent pas avoir accès à la ressource halieutique au profit des étrangers. Nous ne jetons l’opprobre sur personne, mais les ressources nationales doivent d’abord profiter aux nationaux. Le gouvernement a pris l’exacte mesure de la situation. Petit à petit, les choses vont évoluer. Paris ne s’est pas construit en un seul jour. De même que Dakar. Il faut qu’on laisse le temps au gouvernement de mettre en place les mécanismes qui pourront, en réalité, remodeler et booster le secteur privé. Et qu’on crée dans chaque secteur des champions nationaux. Il faut aussi qu’on puisse identifier, et c’est déjà fait, les cinq voire dix produits qui sont les plus importés au Sénégal et qui passent le cordon douanier et que nous les produisons ici-même, au Sénégal et, c’est bien possible. Est-ce que la consommation de riz ou le nombre de moutons importés à chaque Tabaski est normal ? Alors que nous avons les moyens d’en produire suffisamment. Il suffit simplement de créer les conditions pour que les paysans dans la Valée du fleuve Sénégal ou de l’Anambé puissent tirer profit des récoltes. L’Etat doit mettre des mécanismes pour qu’on puisse atteindre l’autosuffisance alimentaire. Et là, ils y sont ».
Les précédents régimes des Présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall ont tous théorisé et tenté d’atteindre l’autosuffisance alimentaire mais n’ont pas pu réussir. Selon vous, sur quels leviers doit se baser l’actuel régime pour atteindre cet objectif salutaire pour le Sénégal ?
« Au Sénégal, les politiques publiques et les ambitions ne manquent pas. Mais le problème qu’on constate, c’est que beaucoup de choses sont velléitaires. On commence des choses au Sénégal qu’on ne termine jamais. Il faut un changement de mentalité et qu’on fasse comme les autres pays, notamment la Chine, la Corée et même le Rwanda qui, avec peu de choses, se sont développés de manière extraordinaire. Il faut qu’on arrête d’être velléitaires. On pose la première pierre mais ça ne finit jamais. Il faut donc construire un Sénégalais nouveau. Comme nous sommes dans un régime dit de rupture, ça devrait se traduire par un changement de mentalité. Il faut qu’on ait un Sénégalais qui ait envie de gagner, des ambitions et de se battre. Tout Sénégalais doit se considérer comme un champion potentiel et un ambassadeur. De ce point de vue, en très peu de choses, ça peut changer dans notre pays. J’en suis convaincu ».
Ibrahima KANDE Le Soleil